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Nicolas Coursault

l'église de Moriville, 21 juin 1940, au bout du suspense.


L'église de Moriville où furent entassés les prisonniers français en juin 1940.
Moriville et son église

Un chapitre du livre « SOLSTICE 40 » se déroule dans l’église de Moriville. Recoupant les travaux de l’historien Roger Bruge et les témoignages de Marcel Rollet et du lieutenant Méhu, j'y décris un évènement emblématique de la défaite de 40 et les premières heures de captivité.

Afin de compléter mon récit, voici les faits historiques, tels qu’ils ont été rapportés par les acteurs de cet évènement.

Extrait du livre « Les combattants du 18 juin », de Roger Bruge aux éditions Fayard (1984).

« Dans les Vosges, un groupe interarmes occasionnel commandé par le lieutenant-colonel de Reviers de Mauny tente avec courage et en combattant d'atteindre Moriville ou Rambervillers. Mais l'étau s'est resserré et le passage se révèle impossible. Il faut se rendre.

« De l'église de Moriville où sont enfermés sous-officiers et hommes de troupe, de la mairie où se trouvent les officiers, a-t-on prêté l'oreille au combat livré par le groupement de Mauny ? Vaincus par les nuits d'insomnie et les marches sans fin, la plupart des prisonniers étaient plongés dans un sommeil noir, exempt de cauchemars mais profond. On trouve pourtant quelques allusions à l'engagement, çà et là, dans divers documents. Le commandant Brun, du 11° bataillon de chars, en parle dans son rapport : «Vers fin de la nuit, dit-il, nous avons été réveillés par des feux intenses d'armes automatiques, des coups canon de petit calibre puis des coups de canon très rapprochés. Après trois quarts d'heure environ, tout est rentré dans le calme. »

Les prisonniers se sont-ils rendormis ? C'est probable mais leur sommeil va se trouver une seconde fois interrompu après le lever du jour dans des conditions qui, à priori, n'ont pas de justification sérieuse.

« A 4 h 30, écrit le lieutenant Méhu, du GRDI 26, nous avons été réveillés par des cris et avons vu, par la fenêtre, passer à marche forcée, un détachement d'environ 400 soldats français, parmi lesquels se trouvaient nos cavaliers ; le détachement était harcelé par les Allemands à coup de fouet, de matraque, de crosse et même de baïonnette. L'adjudant Grabé, de notre escadron, a été blessé à la nuque. »

Le visage fermé, d'autres soldats allemands font descendre dans la rue les officiers détenus à la mairie. Un Oberleutnant demande un interprète; Méhu s'avance.

« Il nous traduit, rapporte le lieutenant Mairesse-Lebrun, qu'un Unteroffizier a été tué pendant la nuit et que, par représailles, un officier français sur dix et un homme de troupe sur trois vont être fusillés. »

Sur cette base dont le cadre est sans aucun doute authentique, les chiffres, les causes et les versions subissent des variations. Voici celle du lieutenant Méhu :

« Un sous-officier de la Wehrmacht aurait été émasculé et mutilé par des prisonniers de l'infanterie coloniale ; d'autres prisonniers auraient tiré sur les troupes allemandes ».

A un détail près, le rapport du commandant Brun est proche de celui de Méhu :

« Les Allemands nous reprochèrent d'avoir cherché à reprendre les armes (...) De plus, un Noir aurait tranché la gorge à un sous-officier. »

Nous sommes donc en présence de deux accusations portées par les Allemands contre les prisonniers :

a) Certains d'entre eux auraient repris les armes après leur reddition (les Allemands ont prétendu que des prisonniers de Moriville auraient repris les armes, confirme le lieutenant-colonel Louis Soulié détenu à la mairie).

b) Un Unteroffizier aurait été tué, voire mutilé, par un tirailleur de l'infanterie coloniale.

Du côté allemand, les archives sont muettes, l'événement a été gommé. Le commandant Brun assure « qu'un officier sur trois et un homme sur cinq vont être fusillés ». Des chiffres différents de ceux qui sont avancés par Mairesse-Lebrun. Le vétérinaire-lieutenant Jean Millard, du GRDI 46, dit :

« Un officier sur trois et un homme sur dix. »

Le Dr Henry Bouteille, du 11° BCC se souvient seulement « que de nombreux officiers et soldats ont été conduits dans un pré pour y être fusillés. »

Retenons seulement les faits. Au petit matin du 21 juin 1940 un détachement de prisonniers français gradés et simples soldats, se trouve conduit à l'extérieur de la localité pour être passé par les armes. Les Allemands n'en font pas mystère et sachant ce qui s'est passé la veille à Domptail (Vosges) où vingt soldats du 21/146° RIF ont été massacrés par l'avant-garde de la 198e ID, on peut se demander s'ils ne vont pas mettre leur projet à exécution. Mais pourquoi des représailles ? Des hommes du groupement de Mauny entrés dans Moriville ont-ils été confondus avec des prisonniers évadés ayant repris les armes ? Réveillés comme le commandant Brun par le bruit du combat et se croyant sur le point d'être libérés par une contre-attaque française, des prisonniers ont-ils voulu apporter leur contribution à l'affaire en tuant un gradé chargé de les garder ? Celui-ci a-t-il eu la gorge tranchée comme l'écrit Brun, ou l'a-t-on émasculé comme le prétend Méhu ? Faute d'éléments plus concrets, nous devons nous en tenir aux hypothèses. Ce qui est réel, c'est le transfert des prisonniers dans un pré dont aucun Allemand ne leur dissimule qu'il sera le lieu de leur exécution.

Mairesse-Lebrun : « Nous devons défiler par trois, mains levées, bousculés jusqu'à la sortie du village. Nous gagnons, à quelques centaines de mètres de là, un champ où les hommes de troupe sont déjà rassemblés. »

Eu égard à son grade, le lieutenant-colonel Soulié est resté à la mairie.

Ayant observé la scène par la fenêtre, il indique dans son rapport que « trois civils accusés d'avoir tiré sur les Allemands sont avec les prisonniers ». Le vétérinaire Millard parle « d'un groupe de trois ou quatre tirailleurs sénégalais et de quelques civils».

Les deux hommes ne se sont pas donné le mot mais la présence de civils dans le pré où les prisonniers sont regroupés n'est pas confirmée.

Trois mitrailleuses dont les servants sont en position de tir couché se trouvent sur le périmètre de la pâture et l'atmosphère est tellement tendue que les prisonniers se demandent avec angoisse si les Allemands ne vont pas les tuer sans autre forme de procès. Qui pourrait venir à leur secours, protester, invoquer les lois de guerre ? Le commandant Brun, qui est resté à la mairie, obtient d'être conduit auprès d'un colonel dont le PC serait à Moriville. Accompagné par deux officier du 11e BCC, les capitaines Paul Faure et Auguste Albert, le chef de bataillon rencontre le « Herr Oberst » devant l'église et lui demande en allemand (dans les années 20, le commandant Georges Brun était interprète d’anglais et d’allemand au 2ème bureau de l’armée du Rhin) d'intervenir pour éviter un massacre que rien ne paraît justifier. Son interlocuteur se prétend surpris par cette histoire de « sous-officier assassiné ». On lui a seulement rendu compte de la présence de francs-tireurs dans certaines maisons du village. Brun n'y croit guère et, pour prouver sa bonne foi, il propose de visiter lui-même chaque habitation, ce qu'on l'autorise à faire avec un Feldwebel dont la mission est d'arrêter tout civil pris les armes à la main. Bien entendu, il ne sera procédé à aucune arrestation.

Pendant ce temps, dans le pré où les prisonniers exposés au soleil ne quittent pas des yeux les mitrailleuses braquées sur le groupe compact, la tension monte et les Allemands semblent exaspérés, prêts à tuer. Pendant que Brun et son Feldwebel passent au peigne fin les habitations, ne vont-ils pas être abattus par leurs gardiens furieux ?

Un homme décide d'affronter l'orage. Le lieutenant Méhu s'avance de deux pas, rassemble les talons, salue et se présente à un Oberleutnant qui semble attendre des ordres. Parlant au nom des cavaliers, Méhu rappelle «que l'escadron à cheval du GRDI 26 s'est rendu après avoir vaillamment combattu à Châtel, et que ses hommes ne sont pas des criminels de guerre mais des prisonniers. Ils doivent donc être traités comme tels en application de la « convention de Genève ».

Le ton ferme et courtois du jeune officier en impose mais Méhu possède un moyen de pression supplémentaire. Dans le cadre de ses fonctions au ministère des affaires étrangères, il se trouvait en poste, juste avant la guerre, à l'ambassade de France à Berlin. Au cours d'une réception donnée dans les salons de celle-ci, il a été présenté à un diplomate allemand qui, il en jurerait, n’est autre que l'Oberleutnant auquel il s'adresse. Sans cesser de penser aux mitrailleuses braquées sur ses camarades, Méhu évoque Berlin, l'ambassade, la réception... Et s'il se trompait ? Non, le visage de son interlocuteur se détend et l'ombre d'un sourire s'y dessine. L’Oberleutnant ne reste pas insensible à ce rappel, et il confirme à Méhu qu'il est bien le diplomate qu'on lui a présenté naguère à l'ambassade de France. Les faits s'enchaînent, on passe du passé au présent et Méhu est conduit, lui aussi, auprès du « Herr Oberst » qui met fin à la tension générale en donnant l'ordre de ramener les prisonniers à la mairie et dans l'église.

« Je me demande s'ils nous auraient fusillés ? » dira plus tard Méhu avant d'ajouter sur un ton convaincu : « En tout cas, ils en étaient capables !»

A midi, une assiette de soupe sera servie à tous les captifs de Moriville. Elle constituera leur seul repas de la journée et le soir, formés en colonne, ils seront conduits à Rehaincourt, à trois kilomètres.

« Nous y avons passé la nuit, se souvient Méhu. 1500 officiers et soldats entassés dans l'église. »

Le lieutenant Arnaud, du 11e BCC, n'a pas oublié, lui non plus, cette première nuit de captivité : « Trop nombreux pour un volume d'air aussi réduit, nous avons été obligés de casser les vitraux pour respirer».

Des informations isolées font cependant état de tirailleurs africains passés par les armes à Moriville. Les chiffres varient, allant d'une compagnie, à quelques soldats. Le nombre des tués inhumés sur le territoire de la commune de Moriville le 21 juin 1940 en présence du maire, M. Jules Edel, s'élève à 24. Trois artilleurs du 13e RAL (Farey, Hunewald et le maréchal des logis Deflenne) ont été victimes de l'attaque aérienne du 13 juin. 11 morts ont été identifiés comme appartenant au groupement de Mauny. Les autres n'ont pas d'unité connue (Allix, Clavel, Faure, Schaeffer (Robert Schaeffer, dont le corps a été retrouvé au lieu-dit « la tranchée de Portieux », aurait eu 28 ans le 22 juin. Il appartenait, semble-t-il, au I-132e RIF), Kaiser, Joanny et Metzger). Enfin, figurent sur cette liste 3 tirailleurs : Day, du Dahomey, et Nua, un Soudanais dont l’identité définitive, Moussa Coulibaly, sera reconnue le 20 novembre 1951 par un jugement du tribunal civil d’Epinal. Le troisième, d’origine africaine dont le corps a été découvert au lieu-dit « Aux Ensonges », n'a pas été identifié. Personne ne peut dire avec certitude dans quelles circonstances ils ont trouvé la mort.






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