Hommage à nos anciens. 3ème partie
Témoignages de ceux qui ont connu Michel Coursault
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11/03/2022
16h, même jour, je repars de chez Xavier Farand pour un second rendez-vous pour l' interview du Contre-amiral Christian Amand. Un jour exceptionnel où je rencontre les deux derniers commandants du Cassard, tous deux proches de mon grand-père le Contre-amiral Michel Coursault.
Je n’ai pas à faire une longue route et me voilà dans une impasse étroite sur les hauteurs du Mourillon. Encore plus petit que chez Farand, je me gare devant un cottage lilliputien, un refuge positionné comme un sémaphore. L’Amiral traverse son jardinet pour m’ouvrir le portillon, un homme souriant au regard charmeur et vif.
- Entrez ! Entrez ! Nous n’habitons pas ici, mais nous aimons y venir nous reposer.
Effectivement, je pénètre dans une pièce unique avec un recoin pour cuisiner, un bureau et un salon. Son épouse est là et le ton est immédiatement chaleureux, familial.
- Vous êtes le fils de Thierry ? demande-t-elle.
- Non, je suis l’aîné de Pierre, le dernier garçon de Michel et Suzanne.
- Ah ! J’ai bien connu votre grand-mère. Elle était très gentille et aimable avec nous toutes. Nous nous retrouvions souvent chez elle, dans son jardin. Elle était très dynamique et entreprenante. Elle vendait de la vaisselle italienne.
Effectivement, Suzanne Coursault avait été conquise par le style « Vaccarella », découvert lorsque Michel était en poste à Naples. Elle invitait ses amies, pour la plupart des femmes de marins, à des réunions conviviales sur le modèle américain Tupperware. Sans doute était-ce là l’occasion de rompre la solitude née des longues absences de leurs maris.
Après une brève présentation de mon curriculum généalogique, Christian Amand me lance une première question :
- Alors, racontez-moi, que vous a dit Farand sur la nomination de votre grand-père comme commandant de l’escadre ?
Je ne m’attendais pas à cette colle, et ne peux lui répondre.
- Nous avions tous été soulagés par son arrivée, car son prédécesseur était vraiment caractériel. Nous nous sommes de suite très bien entendus, nous découvrant une passion commune pour l’histoire. Nous terminions d’ailleurs tous deux la lecture du même ouvrage : « les Angevins de Naples ».
La sixième et dernière tournée d’escadre de Michel Coursault débute le 4 mai 1973, et Christian Amand vient juste de prendre le commandement du Cassard. J’ouvre un album de mon grand-père sur une carte qui retrace leur croisière, et en guise de programme : des exercices prévus conjointement avec les marines italienne, tunisienne et grecque.
- À Tarente, nous avions eu une magnifique escale. Votre grand-mère nous avait rejoints et ils étaient partis tous les deux visiter Matera et les trulli, des maisons typiques des Pouilles au toit en forme conique.
- La manœuvre d’accostage avait été délicate, mais c’est une situation qui me plaisait et tout s’est bien passé. Votre grand-père m’avait d’ailleurs félicité, rajoute-t-il.
La croisière continue et l’étape en Tunisie est l’occasion d’une nouvelle sortie à Kairouan avec Amand, Jammayrac (pacha du Jauréguiberry) et les époux Coursault.
En aparté, il me parle de l’Amiral Brasseur-Kermadec :
- Il aimait tapoter ses 4 étoiles en disant à son auditoire : « vous avez vu ! C’est pas mal pour un Belge ! » Il avait ses têtes. Un jour où il nous passait en revue, il s’avança vers l’un d’entre nous en lui serrant la main : « bravo, beau commandement. » C’était sympa pour les autres…
Il se rappelle aussi l’arrivée devant la Goulette et la remontée du canal. Mais ses souvenirs les plus marquants sont les deux escales grecques de Syros et Rhodes.
- Syros, accostage difficile, mais réussi, me dit-il, avec 2 collines coiffées chacune d’une cathédrale : Anosyros la catholique à gauche de la photo et Vrontado l’orthodoxe.
Des visites officielles sont organisées avec un ordre des préséances à respecter : 1- le métropolite, 2- l’évêque catholique, 3- le préfet…
Les autorités locales sont invitées à déjeuner à bord du Cassard, mais « il me faut trouver 3 places supplémentaires, car le maire vient avec… son remplaçant, et comme le métropolite a emmené son secrétaire, l’évêque Xénopoulos en a fait autant », écrit Michel Coursault.
- Ils venaient pour manger, m’explique Christian Amand, ils étaient là que pour ça… Ah ! J’ai une autre histoire drôle. Au départ de notre tour de ville, nous nous sommes arrêtés pour assister à la messe orthodoxe qui commençait. Quand nous sommes revenus quatre heures plus tard… elle n’était pas finie.
Les visites se poursuivent sur l’île, d’abord à l’école des Frères des Écoles chrétiennes, où tous parlent français. Puis à la maison des sœurs de Saint-Vincent de Paul et enfin l’orphelinat des sœurs d’Hermoupolis où était préparé un divertissement et la lecture d’un « compliment ». Tout cela organisé « selon les traditions d’autrefois où les navires de guerre français assuraient du temps des Turcs la protection des missions catholiques », note MC.
- Ces gens étaient très pauvres et nous leur avons amené des denrées alimentaires. Les sœurs étaient toutes très âgées, sauf une que les autres poussaient devant et qui était relativement jolie, pour la photo.
- Nous sommes ensuite partis pour Rhodes. Y êtes-vous déjà allé ? C’est une ville de toute beauté, qui a été restaurée par les Italiens du temps où ils occupaient le Dodécanèse. Mussolini voulait en faire un exemple de sa civilisation.
Après les réceptions d’usage, Christian Amand, Michel Coursault et le Capitaine de frégate André Grégoire s'échappent pour une petite excursion à Lindos dans une voiture sortie tout droit d'un film avec James Dean.
- Je m’entendais très bien avec Grégoire et Aubert, et Esgonnière était épatant. Quant à votre grand-père, on se croisait à la bibliothèque du port.
Le temps s’écoule et nous continuons à tourner les pages sous l’œil mi-amusé mi-curieux de Fanny Amand. Ils ont eu ensemble quatre enfants, quatre garçons : Guillaume, Stanislas, Thibault et Grégoire.
- J’aurais aimé avoir une fille, mais je n’ai eu que des hommes. Je n’ai d’ailleurs que des frères et mes petits-enfants sont tous aussi des garçons. Pouvez-vous me passer l’un de vos albums ?
Elle se plonge à son tour un demi-siècle en arrière, reconnaissant des visages. De mon côté, je suis assis près de son mari sur le lit-canapé, et il me tamponne régulièrement l’épaule pour me narrer des anecdotes qui reviennent à chaque page.
- Les Grecs de Rhodes n’aimaient pas les Italiens. Ils nous ont raconté que lorsque l’armistice de Cassibile a été signé, il y avait une garnison allemande sur l’île, de quelques centaines d’hommes, bien inférieure en nombre par rapport aux Italiens. Le commandant allemand s’est donc résigné à aller se rendre aux Italiens. Une fois arrivés devant Rhodes, ce sont les Transalpins qui ont jeté leurs armes et levé leurs bras… à la grande surprise des Allemands.
La croisière s’est poursuivie au pied des falaises de Santorin. Christian Amand me décrit la beauté des lieux, ainsi que l’ascension rocambolesque, à dos de mulet, sur un chemin vertigineux grimpant en zigzag. Ce sont les derniers instants d’une longue carrière de marin pour Michel Coursault, c’est aussi bientôt la fin du Cassard qui sera désarmé un an plus tard.
Je quitte le petit refuge du Contre-amiral et de Fanny après avoir promis de leur transmettre une copie de mon prochain ouvrage. Ainsi s’achève cette belle journée partagée avec deux officiers que mon grand-père avait tout particulièrement appréciés.
Le Contre-amiral Christian Amand est né en 1929, entre dans la Marine en 1949. Il a notamment commandé l’escorteur côtier l’Enjoué, la 3ème DEC, ainsi que le Cassard.
À suivre…
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Nicolas Coursault, 08/11/2022.
Crédits photo : albums de la famille Coursault.
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