Hommage à nos anciens. 1ère partie
Témoignages de ceux qui ont connu Michel Coursault
Généalogiste et auteur de romans historiques, il était normal que mon intérêt se porte un jour sur l’une des figures marquantes de ma famille : le Contre-amiral Michel Coursault. Après avoir arpenté les archives de Brest, Toulon et Vincennes, je viens de terminer le manuscrit du « Tour du monde de la Jeanne d’Arc en 1937-38 » en m’appuyant sur les écrits de mon grand-père, ainsi que les rapports du Commandant Gabriel Auphan.
Au fil de mes recherches, je me suis aussi intéressé à recenser ceux qui ont croisé ce parcours de marin et qui peuvent toujours en témoigner. C’est une chose de retrouver des documents et journaux de bord divers, c’en est une autre de recueillir les témoignages vivants de cette époque déjà lointaine. La chose ne semblait pas simple, Michel Coursault ayant quitté la Royale le 14 août 1974…
Ma quête commence en septembre 2021, près de Versailles, où j’ai l’immense honneur de rendre visite à l’Amiral Scordino et sa femme Jerry. Leur fille s’était mariée avec mon oncle et la rencontre fut facilitée par ma cousine Claire. Yvan Scordino, jeune centenaire et doyen de nos amiraux, a gardé tout son esprit et m’a permis de plonger dans des années lointaines, jusqu’avant-guerre. Il a notamment commandé le porte-avions Clemenceau de 1970 à 1972. Par pudeur, celui-ci n’a pas souhaité que son témoignage soit publié de son vivant, nous attendrons donc le plus longtemps possible.
Une première étape qui m’a néanmoins convaincu de poursuivre.
Michel Coursault a été directeur d’études à l’école de guerre navale de 1968 à 1971, poste où il a côtoyé de nombreux officiers.
Je retrouve ainsi plusieurs de ses anciens élèves tels que le Capitaine de vaisseau Yves Colin de Verdières qui a vécu en Indochine. La Marine, c’est aussi une grande famille ; ils se sont d’abord connus lorsqu’il était enfant. Ses parents étaient amis avec les Lafeuillade, parents de Suzanne Coursault. Il me raconte que grand-père venait très tôt à la messe du matin et s’asseyait au premier rang. Il était membre de l’État-major de l’ALESCMED en 1971.
Le 25 janvier dernier, c’est un autre Capitaine de vaisseau qui me parle de ses jeunes années : Jean-Régis de Séré, un nonagénaire dynamique, amoureux de la pierre et plus spécialement du château familial de Vaucelles. Il se remémore sans peine de son passage à l’école militaire, 60ème promotion, mais aussi en 67 à bord du Jean Bart, le vieux cuirassé :
- Un grand homme avec une belle allure, souriant, fort compétent, très sérieux, c’était très agréable de travailler avec lui. Je me souviens surtout de lui lorsqu’il était au centre d’entraînement. À l’école de guerre, l’Amiral Bourdais s’endormait pendant les discours…
Le Capitaine de vaisseau Jean Montanié était aussi au centre d’entraînement à la même époque. J’ai eu sa fille qui m’a conseillé de lui écrire, expliquant qu’il racontait souvent ses histoires de marin. Il m’a répondu en me précisant qu’il était pilote et de ce fait avait peu fréquenté Michel Coursault. Il m’a remercié pour la photo que je lui ai transmise et m’a encouragé dans mes recherches.
Le Contre-amiral André Gay était dans la même promo que de Séré. On se téléphone fin janvier et je fais connaissance avec un homme vif, dont la mémoire est intacte. Il garde une petite anecdote sur son Directeur qui l’avait interpellé dans les couloirs de l’école de guerre avant son entretien individuel avec Bourdais pour lui dire qu’il n’est pas le dernier... Il a eu peur qu’il parle de son classement, mais en fait il s’agissait de son passage par ordre alphabétique... Il me confie aussi avec un certain amusement un couac sans conséquence avec Bourdais à l’occasion de la visite du général de Gaulle qui venait de passer en revue les écoles de guerre terre, puis air et enfin navale. Bourdais accueille le président ainsi : « bienvenue à l’école de guerre aérienne... » De Gaulle se retourna alors pour demander : « je ne suis pas à l’école de guerre navale ? » Pour le reste, il me dit que les stagiaires étaient très autonomes et avaient peu de rapports avec l’état-major. En aparté, je salue sa carrière, car André Gay est issu du rang, engagé en 1947 comme simple apprenti-marin… avant de gravir tous les échelons ! Je lui ai envoyé une photo promise et voici sa réponse par mail :
« Merci de votre message, et surtout de la photo jointe.
Comme ils étaient beaux tous ces jeunes officiers !
C’est avec émotion que j’ai regardé, agrandi, ces visages amis.
Beaucoup d’entre eux — peut-être une majorité — ont rejoint l’autre monde !
À l’époque, nous avions l’intention de transformer le nôtre, de faire évoluer la Marine, de montrer que nous étions les meilleurs !
Vanité des vanités, tout est vanité !
Je serai très heureux de vous lire si vous publiez quelque chose sur votre Grand-père.
Bien amicalement. »
Il sera membre de l’État-major de la marine dans les années 80, mais ne s’arrête pas là et passe une thèse de doctorat de philosophie à la Sorbonne en 1993 ! Le sujet : « Le problème du mal dans la pensée russe », toujours d’actualité…
Je ne parviens pas à entrer en contact avec tous les noms de ma liste. Certains sont devenus des personnalités comme le Vice-amiral Michel Debray ou l’Amiral Jacques Lanxade (chef d’État-major des armées de 1991 à 1995) qui avait été sous les ordres de Michel Coursault (il avait aussi connu son père), et qui fut proche de celui-ci. D’autres sont aujourd’hui des auteurs reconnus et je tente de les joindre par le biais de leurs maisons d’édition.
C’est ainsi que fin janvier je reçois un appel téléphonique du Contre-amiral Rémi Monaque. Son nom était apparu sur une photo de 1974 prise lors d’une inspection générale du centre d’instruction navale de Saint-Mandrier. Il me précise immédiatement qu’il ne l’a pas vraiment connu, mais qu’il avait une très bonne réputation, notamment celle d’être un homme d’action. Très aimable, il m’encourage lui aussi à persévérer dans mes travaux. Rémi Monaque est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la Marine et sera de même directeur d’études de l’école de guerre navale.
Mon enquête se poursuit avec le Vice-amiral Marcel Le Ciclé joint au bout du fil le 18 janvier dernier. Il a fait connaissance avec Michel Coursault à l’école de guerre, 61ème promotion. Puis il intègre l’état-major ALESCMED comme officier ASM, apparaissant tout à gauche de la photo officielle. Il garde un très bon souvenir de mon aïeul, ajoutant qu’il était très agréable avec ses officiers.
Entre autres commandements, il aura l’honneur d’être à la barre de la frégate Duquesne de 1984 à 1985.
Le Contre-amiral Aymard Vivie de Régie était aussi de la 61ème promo. Mais c’est à Naples, au début des années 60 qu’ils se sont croisés pour la première fois. Il commandait alors le groupe aérien sur le porte-avions Clemenceau. Madame suit la conversation et je l’entends dire à mon attention que mon grand-père était « très beau ». Tous les compliments sont bons à prendre ! Il rajoute qu’il était très apprécié, avec beaucoup de distinction et qu’il garde encore un souvenir nostalgique de lui. Ils se sont retrouvés plus tard sur le Forbin lors de la seconde campagne d’expérimentations nucléaires. « Ma femme m’avait rejoint à Moorea » précise-t-il, et effectivement on les voit sur une photo avec une couronne de fleurs sur la tête. La mémoire est alerte et les anecdotes fusent, je tente de les noter. Il m’apprend que l’épouse de l’Amiral Lanxade, Loïse, était proche de Suzanne et l’assistait pour la vente de ses poteries Vaccarella de Naples. Ils en ont d’ailleurs.
Nous parlons un peu de tout et de rien, je lui donne des nouvelles de ses camarades, des santés des uns et des autres. Ils habitent Paris quand d’autres n’ont pu s’éloigner de la mer ou de l’océan. Quelques-uns ont gardé contact, mais les années ont passé. Il m’enseigne encore quelques notions de langage marin :
- Savez-vous comment les pilotes appelaient les officiers sur les bateaux ? « les chient dans l’eau ».
En évoquant l’amiral Gay, il complète ma formation en me dévoilant qu’on surnomme « les zèbres » ceux qui viennent du rang. Il m’écrit plus tard ce mot :
« Merci, pour les photos qui nous replongent dans les bons moments passés à Tahiti ! il y a bien longtemps maintenant…
Bravo pour votre projet de livre sur vos grands-parents et bonne chance pour trouver un éditeur, mais je crois que vous êtes du métier. »
Si seulement c’était facile de trouver un éditeur…
Un appel me surprend le 10 septembre de cette année ; le Vice-amiral Michel Mollat du Jourdin se présente, 61ème promo, officier de transmission et membre de l’Etat-Major de l’ALESCMED lorsque Michel Coursault commandait l’Escadre. Ils se sont bien connus et sa mémoire garde le souvenir d’un chef « très sympathique, réservé et calme, soucieux de ce que pensait ses officiers ». Un officier qui, comme beaucoup d’autres, reste plus marqué par l’humain que les faits militaires.
- Avant de partir dans le Pacifique, nous venions d’avoir notre dernier enfant et avions un certain nombre d’ennuis. Votre grand-mère Suzanne s’était alors occupée de mon épouse durant mon absence.
Un beau témoignage de la solidarité entre marins, entre femmes.
Michel Mollat du Jourdin commandera aussi le Forbin de 1978 à 1979, puis sera attaché naval auprès de l’ambassade de France à Londres.
Nous voici à la 62ème promotion de l’école de guerre. Le Contre-amiral Norbert Bonneau est au 3ème rang, 6ème depuis la gauche sur la photo officielle. Il a peu de souvenirs personnels. Malgré cela, il m’explique que lui-même a été directeur du Lycée naval et qu’il est évident que : « être Directeur des études de l’école de guerre navale est une marque de reconnaissance, de grande valeur, c’était le gratin promis à une belle carrière ».
Norbert Bonneau est décédé le 11 octobre 2022. Il était chevalier de la Légion d’honneur et Commandeur de l’Ordre national du Mérite.
Le Capitaine de vaisseau Claude Daroux commandait la Seine en 1973 quand Michel Coursault était à la tête de l’escadre. Il l’accompagne lors de campagnes, notamment à Casablanca en février, puis ils visitent Marrakech à l’occasion d’une sortie « en civil ». Il participe aussi à la croisière de printemps avec le Cassard, l’Arromanches, le Bourdonnais, le Rhin et le Jauréguiberry.
- C’était un Amiral que vous aimiez avoir, courtois, correct me déclare-t-il.
Je termine par une flatterie du Capitaine de frégate Jean Desvilles, second du Cassard en 1973 :
- Votre grand-père était très apprécié, et si nous avions pu choisir entre lui et son successeur, nous aurions gardé le Contre-amiral Coursault sans hésiter.
Finalement, à travers lui, c’est à tous ces officiers que je souhaite aujourd’hui rendre hommage par ces quelques anecdotes sans grande importance. Tous m’ont étonné par leur vivacité d’esprit et leur mémoire extraordinaire. Des personnalités attachantes, sensibles à l’évocation de leur passé partagé au sein de la Marine nationale.
À suivre…
Nicolas Coursault, interview d'officiers de marine ayant connu Michel Coursault, 2022.
Crédits photo : albums de la famille Coursault.
Comments